Depuis un certain temps, les avocats surnommés « Amapita » sont en très grande abondance sur les marchés burundais. Pour la première fois, ils ont pu s’imposer à grande échelle au pays. Et ce, depuis le lancement du projet de leur culture, en 2005, par le Président de la république. Mal appréciés à l’époque, aujourd’hui ces fruits font la fierté de la population.
« Amapita ». Surnom né de « Peter » ou « Pita » (Pierre), le prénom de l’actuel président de la République. Pour faire allusion aux fruits d’avocatiers plantés depuis son premier mandat. Le terme est connu de tous. Contrairement aux années précédentes, aujourd’hui, ces avocats se rencontrent abondamment dans les milieux urbains comme à la campagne.
D’où sont-ils venus ?
Le 19 août 2005, Pierre Nkurunziza est élu président du Burundi. Le pays qui vient de sortir d’une grave crise politico-ethnique de dix ans. En marge de ses grands chantiers, celui-ci entame une campagne durant laquelle il fait planter des centaines de milliers d’avocatiers. Ensuite, il appelle la population à suivre le modèle. « Ces fruits peuvent constituer une grande source de revenu pour le paysan », expliquera-t-il. Cependant, les détracteurs et une partie de Burundais n’y seront pas favorables. « Par jour, le président utilise des moyens – cortèges, carburant, frais de mission –qui dépassent de loin le coût journalier des avocatiers plantés. Donc, il fait de la malversation. En plus, la campagne apparait comme une propagande », dénonceront-ils.
De surcroit, le projet se heurte à une croyance grandissante selon laquelle ces fruits ont un très « mauvais goût ». C’est à cette époque que le terme « amapita » se généralise. Avec une connotation « négative ». Les vendeurs ne trouveront plus suffisamment de clients. Certains seront d’ailleurs obligés d’abandonner le commerce de la variété. Depuis lors, elle deviendra moins nombreuse sur les marchés. Mais paradoxalement, à partir du début de l’année 2019, elle a abondé dans plusieurs provinces, y dominant d’autres variétés. Inhabituelle, la situation serait due au fait qu’au cours de ces dernières années, les populations en ont considérablement cultivée. Dans beaucoup de localités, elle est plus préférée qu’avant.
Avocats des « quatre coins »
Notre reporter a pu faire un constat dans les quatre coins du pays : Bujumbura-mairie, Gitega, Ruyigi, Kayanza, Ngozi, Muyinga et une partie du sud. Partout, il y a observé les « Amapita ». Soit en vente sur les marchés. Soit leurs arbres sur des voies publiques, dans des champs ou parcelles des gens. L’exemple est celui de Ku masanganzira. Une localité située dans la province de Ngozi, sur le tronçon vers Muyinga (nord-est).
On y observe des gens vendant les fruits, profitant des véhicules qui s’arrêtent. Richard* est l’un d’eux. « C’est grâce à ce commerce que je parvienne à nourrir mes deux enfants et à payer le loyer », confie-t-il. Et de préciser : « Par jour, je peux gagner vingt mille Fbu. Vous comprenez que c’est six cent mille par mois. Ce n’est pas mauvais ». Son voisin Emmanuel est un amateur des Amapita : « J’en mange trois à quatre fois par semaine. C’est Richard* qui m’en fournit. J’adore leur chair ».
De Masanganzira à Bujumbura. Le même constat. Eliane *, 34 ans, habite la zone de Musaga. Notre reporter la rencontre au petit marché de Kamesa. Elle y cherche les avocats. D’emblée, on lui montre l’une des variétés. Vite, elle la rejette. « Non. Je veux celle-là », réagit-elle, dirigeant son doigt vers des avocats différents. On les appelle « Amapita », répliquera la vendeuse. Souriant. Comment Eliane* reconnait-elle la variété ? « Elle est plus grosse, mesure entre un et deux kilos. Elle a la peau rugueuse. Mûre, sa chair est jaunâtre. Et d’une bonne saveur », explique-t-elle. « C’est l’avocat préféré de notre famille ».
Stany habite la zone de Kamenge. Jusqu’en 2018, il ne consommait pas le fruit. Mais il a récemment changé ses habitudes. « Mes voisins m’avaient toujours dit qu’il était dangereux. Au début de l’année, il y a eu un manque criant d’autres variétés sur le marché. C’est ainsi que j’ai été contraint de goûter les Amapita. Je les ai trouvés très bons », s’exclame-t-il. « Je crois qu’auparavant ils étaient cueillis avant leur maturité ». Il y a tout de même une inquiétude. Le prix varie entre 600 et 1000 Fbu par unité. Pour les amateurs, il est exorbitant. Jacques*, habite le chef-lieu de la province de Ruyigi (est du pays). « C’est une denrée pour les riches. Mille francs pour un seul avocat, c’est vraiment inabordable pour nous les pauvres », se désole-t-il. Même inquiétude pour Sabrina* de Muyinga : « J’adore ces avocats mais je suis obligée de faire comme si je ne les vois pas. Car ils sont très chers ». Rappelons que Muyinga est l’une des provinces où les « Amapita » sont beaucoup plantés. D’autres sont Ngozi et Kayanza.
Certains n’en mangent toujours pas. Par exemple Éric*, de Kinama (Bujumbura) : « Je crois qu’ils ne sont pas naturels, à voir comment ils sont gros. Je crains d’attraper des maladies si je m’en nourrissais ». Le jeune homme critique : « Au Burundi, il y a suffisamment d’avocatiers. On n’avait pas besoin d’en planter davantage. Par exemple, en milieu rural, chaque ménage en a au moins deux ». L’argument est partagé par son copain, Egide*. « Je me suis toujours demandé si ces avocats n’étaient pas des OGM. Dans ce cas, ils seraient plus dangereux qu’on ne le croyait. Je n’en mange jamais ».
Nourriture d’accompagnement
Comme d’autres avocats traditionnels, les amapita jouent le rôle d’accompagnement. Eliane*, 30 ans, habite le chef-lieu de la province de Kayanza. Ils lui rappellent sa vie d’élève à l’internat, où elle a appris à en manger avec du riz. « On écrasait le fruit. Et une fois le riz servi, on faisait le mélange. Oh ! Le plat est vraiment agréable ! », raconte la mère de deux enfants. Quand le reporter arrive chez-elle, le repas de midi est à table. D’ailleurs, elle s’est déjà servie : le riz et l’avocat seulement. « J’adore le plat comme ça. C’est vraiment joli ! », dit-elle, après en avoir goûté, et souriant. « Je n’ai même pas besoin de haricot ».
Amapita. Le président Pierre Nkurunziza leur a donné un surnom : « Inyama zo ku biti » (la viande provenant des arbres), faisant allusion à leur saveur. Selon le chef de l’Etat, ils constituent un repas « délicieux » avec du manioc, de la patate douce, des colocases et pommes de terre.
A Gitega (centre du pays), certains suivent déjà le principe. Cécile*, habite la commune de Nyarusange. Poussée par la pauvreté, elle a développé une stratégie. Le repas de midi est – pour la plupart des cas – fait de la patate douce et l’avocat. « Mes enfants y sont déjà habitués. C’est moins cher. Avec la cherté de la vie, il est difficile de trouver du haricot à manger 12 mois sur 12 », explique la quinquagénaire. Son fils ainé, Sylvère*, en est fier : « C’est notre style de vie. C’est notre niveau. On est content comme ça. Il n’y a pas de souci à se faire ».
Les avocatiers sont des arbres à croissance lente. Les plus précoces peuvent donner leurs premiers fruits entre cinq et six ans. Et les plus tardifs, vers huit et neuf ans. Le projet ayant été lancé en 2005 et des Burundais l’ayant exécuté avec retard, ceci pourrait expliquer pourquoi les « Amapita » commencent à se multiplier abondamment quatorze ans plus tard. Ainsi, cela nous mène à une question : qu’a-t-on prévu pour faire face à une éventuelle surproduction ? Une chose est sûre. Exportés, ces fruits constitueraient une véritable source de devises.