Le tribunal de grande instance de Bujumbura (province) a condamné, lundi 30 avril 2018, à 3 ans de prison, Melchiade Nzopfabarushe. Ce cadre du parti CNDD-FDD était accusé d’avoir tenu, comme le montre un enregistrement vidéo en possession du procureur, des discours menaçant les opposants au référendum constitutionnel prévu le 17 de ce mois. Condamné en flagrance, l’homme, au cours du procès, paraissait «surpris». Il semblait ne pas comprendre ce qui lui arrivait. Il a d’ailleurs affirmé devant le tribunal que les propos qu’il avait tenus le 15 avril cette année dans la zone de Migera en sa commune natale de Kabezi en province de Bujumbura, «c’était dans le cadre d’une réunion de son parti» et qu’il ne donnait que «des conseils aux Bagumyabanga natifs de la localité comme on le faisait d’habitude». «Ce que j’ai dit, il s’agissait d’un message politique aux Bagumyabanga de ma zone. On le fait souvent. Vous ne devriez pas l’interpréter autrement car il s’agissait de simples conseils», a-t-il expliqué au tribunal. Toutefois, le parti hégémonique nie l’avoir mandaté. «Il a dit l’avoir fait au nom du CNDD-FDD. C’est faux. Personne ne l’a envoyé pour représenter le parti ce jour là. Il s’agit là d’une imputation dommageable», a déclaré l’avocat du parti.
Melchiade serait-il l’homme sur qui on fait retomber les torts des autres ? Le premier jour où la vidéo est apparue sur les réseaux sociaux, à seulement deux jours de l’ouverture de la campagne référendaire, différentes autorités du pays ont vite demandé la justice de punir le responsable. Cependant, quelques semaines auparavant, plusieurs autres responsables du CNDD-FDD avaient été filmés en train de tenir des propos «haineux» dans des lieux publics sans que la justice et les autorités n’interviennent. Par exemple, à partir du 13 février cette année, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux. On y voyait l’administrateur de la commune de Gashoho(province de Muyinga, nord-est du pays), Désiré Bigirimana, s’adresser à un groupe d’hommes les appelant à «frapper à la tête» et «ligoter» toute personne de la circonscription qui oserait militer pour le «non» au cours de la campagne référendaire. «On est encore conscient de ce qui s’est passé en 2015. Celui qui viendra vous enseigner ce qui va en opposition au OUI, frappez à la tête. Compris ? Ligotez-le, puis, appelez moi !», avait-t-il insisté. Peu de jours avant, le 3 février, un responsable du CNDD-FDD dans une localité de Butihinda (même province), Revocat Ruberandinzi, avait aussi été filmé tenant des discours pareils contre des opposants. «Celui qui osera promouvoir le non, arrêtez-le et amenez-le nous ! Suivez de près ces militants de la coalition Mizero y’Abarundi et ceux des autres partis qui ont semé le désordre en 2015. Quand vous les voyez, appelez-nous et on aura même pas besoin des OPJ», a-t-il mis en garde avant de lancer des slogans appelant la foule à «casser les dents des opposants».
Toutes ces autorités n’ont pourtant pas été inquiétées. Aujourd’hui, seul Melchiade Nzopfabarushe est condamné. Fait-il figure de bouc émissaire ?
Retour sur le déroulement des faits
Le28 avril 2018, une vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Mais en réalité, les faits se sont produits le 14 avril la même année. Dans la vidéo, on voit Melchiade Nzopfabarushe tenir des propos virulents contre des opposants, devant une foule d’habitants de sa zone natale, à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale. En costume noire, une chemise de couleur bleue claire, un chapeau de couleur blanche orné d’un insigne du Cndd-fdd, avec un ton autoritaire rythmé par ses mouvements, l’homme se montre très menaçant vis-à-vis des opposants.
«S’il y a un opposant qui se cache ici à Migera et qui ose enseigner ce qui va à l’encontre de ce que veut le pays, c’est son affaire. Qu’il ne compte pas sur notre soutien à propos de tout ce qui peut lui arriver», a-t-il lancé. «A partir de la semaine prochaine, on va commencer à mettre en place de nouvelles stratégies connues de personne. Tout comité de base dans lequel on va découvrir un opposant qui se fait passer pour un Mugumyabanga, cet opposant…, on a même construit des bateaux. On va le mettre dedans puis jeter dans la rivière Karonge et le couler dans le lac Tanganyika. D’ailleurs les poissons commençaient à disparaitre dans le lac. Ceci est un message qui est entrain d’être donné dans tout le pays», a-t-il ajouté. «Soyez tranquilles et préparez-vous bien au prochain référendum. Qu’il n’y ait personne qui vous dérange. Partout où vous verrez un opposant en train de menacer un Mugumyabanga, appelez-nous vite et on va le traquer sérieusement. Si tu es un opposant, tu ferais mieux de rester caché dans ta maison, car, si tu oses mettre en colère les gens, on va vraiment te traquer sans relâche», a-t-il renchéri avant de lancer aussi des slogans anti-opposition.
Le 29 avril, le parquet de la république se saisit du cas. Melchiade est arrêté le même jour et conduit en prison. Poursuivi pour «menaces d’attentat contre des personnes», «jeter l’alarme dans la population par menace d’un danger pour la vie», «faux bruits de nature à porter atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat» et «imputation dommageable», crimes punis selon les articles 493, 494, 625 et 264 du code pénal(Livre II), il est condamné, un jour plus tard, à trois ans de prison.
Désaccord entre le siège et la défense sur la forme du procès
Lors du procès, le procureur Aristide Nsengiyumva a demandé que le prévenu soit jugé pour flagrance. Ce que l’avocat de la défense, Maitre Alexandre Ndikumana, voyait autrement. «C’est illégal. On ne peut pas se permettre de poursuivre quelqu’un en flagrance pour un fait qui s’est produit 15 jours avant. Ce serait aller à l’encontre de l’article 21 du code de procédure pénale, ce qui est grave», a-t-il réagi. « Les faits auraient eu lieu le 15 avril mais nous avons été assignés le 29 donc deux semaines plus tard. Sommes-nous vraiment en cas de flagrance ? Je demande que le procès puisse suivre la procédure normale», a-t-il plaidé.
Le procureur a justifié sa demande. «Même si on a eu la vidéo montrant ce que Melchiade a dit deux semaines après la commission du crime, on considère toujours le cas comme flagrance. Ici, on tient compte de la clameur constatée dans la population le premier jour où la vidéo a été vue. C’est comme si on était toujours dans la fraicheur des faits», a-t-il expliqué.
Que dit en réalité le code pénal ? L’article 21 stipule précisément que «Est qualifié de crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui est entrain de se commettre ou qui vient de se commettre.
Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque:
– après la commission de l’infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique;
–dans un temps très voisin de la commission de l’infraction qui ne peut dépasser trente six heures, le suspect est trouvé en possession d’un objet ou présente une trace ou indice laissant penser qu’il a participé à la commission du crime ou du délit».
Malgré le désaccord au cours d’un débat qui a duré près d’une heure, le tribunal a décidé de poursuivre le procès en flagrance. Le prévenu a donc été condamné une heure après. L’avocat a interjeté l’appel.
Si ce jugement était confirmé, il devrait faire jurisprudence, et d’autres responsables du Cndd-fdd devraient être à leur tour condamnés pour des faits similaires. Donc «à suivre»…