Au Burundi, le journalisme est une profession à risque. Grave encore, les journalistes [et autres professionnels des médias] bien que considérés comme défenseurs des droits des autres y sont mal rémunérés, par comparaison à d’autres catégories de travailleurs. Ivomo vous brosse quelques réalités.
Au pays de Ntare, pour exercer le métier de journaliste, il faut l’aimer. Il faut vraiment l’aimer. Surtout l’aimer. Car, en réalité, il est ardu d’en gagner du pognon. Cependant et paradoxalement, des non-initiés ou novices voient en lui [le métier] une véritable source de revenus, un moyen de s’enrichir. Cet état de fait est prouvé par la multiplication, en si peu de temps, des médias au pays. Jusque fin 2019 par exemple, le Conseil national de la communication (CNC) avait dans ses registres 43 radios, 10 chaines de télévision, 33 journaux papiers, 48 journaux en ligne, 5 magazines, 20 agences de presse, etc. Mais au fond, ces structures sont confrontées, en majeure partie, à un manque évident de financements.
Salaires dérisoires
Contrairement à d’autres pays, le Burundi n’a pas encore mis en place le système de salaire minimum. L’absence d’une politique allant dans ce sens fait que la plupart d’institutions ou d’organisations rémunèrent comme elles l’entendent. Elles n’hésitent pas à donner à leurs employés des rétributions pathétiquement bas…
Mais d’abord, en quoi consiste un « salaire minimum » ? Il s’agit en fait d’un « montant minimum légal auquel un salarié peut être rémunéré ». En d’autres termes, c’est un « salaire plancher fixé par l’Etat et que doit verser un employeur ». Dépendant du nombre d’heures du travail effectué journalièrement ou mensuellement, il permet aux travailleurs/travailleuses de subvenir à, au moins, leurs besoins de base.
Dans les médias alors. A part que les salaires des journalistes sont très bas, ils varient aussi, énormément, d’un média à l’autre. Dans cet article, nous nous proposons d’étudier cette situation. L’analyse concerne des journalistes [quel que soit le diplôme] ayant un contrat d’une année et plus. Choisis par hasard de cinq médias/radios, ils nous ont, eux-mêmes, révélés leurs salaires mensuels au moment de la signature de leurs contrats. Regardons le tableau suivant :
RTNB | ISANGANIRO | R.CULTURE | R.IZERE | REMA | IWACU | |
Salaires en BIF | 280.000 | Entre 250.000 et 300.000 | 130.000 | 250.000 | Entre 175.000 et 200.000 | 250.000 |
Equivalent en dollars | 145,9 USD | Entre 130 et 156 USD | 67,7 USD | 130 USD | Entre 91 et 104 USD | 130 USD |
N.B : L’équivalent en dollar relève du cours officiel appliqué par la Banque de la république du Burundi (BRB) en date du 21 juillet 2020 : 1918,8 BIF
Les données dans le tableau révèlent une triste réalité : les journalistes semblent être moins payés par rapport aux autres catégories de travailleurs. Exemples : Un enseignant ayant un diplôme de licence perçoit un salaire de 350.000 BIF [182 USD]. Un infirmier de même diplôme touche un brut de 380.000 BIF [198 USD]. Un magistrat gagne 343.000 BIF [178,7 USD], etc. Il importe de préciser que ces rémunérations varient à la hausse en fonction de grades et de l’ancienneté de l’employé.
A part les contractuels, il y a une autre catégorie de journalistes : les pigistes. Ils souffrent également d’une rémunération très faible. Dans certaines radios réputées du pays, ils gagnent 3000 BIF [1,5 USD] pour une brève, 6000 BIF [3 USD] pour un papier sec, 9000 BIF [4,6 USD] pour un papier enrobé, etc. Et, dans les conditions normales de travail, ces tarifs pourraient constituer un avantage pour eux. Sauf qu’ils sont souvent contraints – par les responsables de leurs médias respectifs – de limiter le nombre de prestations mensuelles, ces responsables ne souhaitant pas débourser beaucoup.
Une vie de misère
Pour mémoire, rappelons qu’après la destruction des principaux médias indépendants dans la crise de 2015, la presse burundaise – ou ce qu’il en restait – s’est retrouvée sans le peu de financements qu’elle avait avant. L’épreuve pénible des journalistes s’est davantage renforcée…
Claude [pseudo] travaille pour une radio indépendante. Habitant la zone de Buterere dans le nord de la capitale économique, son salaire ne lui permet pas de tenir jusqu’au début du mois suivant. Il est 9 heures 45. C’est le week-end. Sous un ciel un peu nuageux, notre reporter arrive chez lui. Une chambrette, avec une seule fenêtre. Le jeune reporter est en train de préparer à manger. « Je vis seul ici. Je n’ai pas besoin de domestique. Je n’ai pas de moyens pour le payer », dit-il en confidence, couteau dans les mains. Avec une ancienneté de 3 ans, Claude* ne perçoit qu’un salaire de 150.000 Fbu soit 78 USD. Pour lui, c’est une somme de misère. « Un tel montant est difficile à gérer. Je dois payer le loyer, la nourriture, … Je dois aussi m’acheter des habits, des chaussures, du savon, … Quelquefois, je me trouve obligé de contracter une dette pour que je joigne les deux bouts du mois », se désole-t-il. Ses projets de rêve sont sur le point de s’effondrer. « Ma fiancée menace de me quitter car je ne suis pas capable d’organiser un mariage ! J’ai essayé de faire des économies pour que je puisse m’équiper en vain ! ».
Il y a un autre problème. Dans certains médias, le salaire n’augmente presque pas même pour les plus anciens. Grégoire [pseudo] vient de partir à la retraite. Durant ses 19 ans de service, il n’a jamais dépassé une rémunération de 220.000 Fbu [114,6 USD]. « J’ai commencé ce métier pauvre et je viens de le quitter pauvre », regrette-t-il. « Quand je me rappelle de ce salaire, j’ai vraiment honte. Je n’ai aucune envie d’en parler. Sans couverture sociale, je ne sais même pas comment je vais vivre ma retraite », désespère-t-il. « Le gouvernement devrait fixer un salaire minimum pour protéger les salariés ».
Pour le retraité, le code du travail burundais n’est pas respecté. Il rappelle que l’article 5 protège les salariés : « Tout emploi doit être justement rémunéré. La rémunération doit être suffisante pour assurer au travailleur et à sa famille un niveau de vie décent… ».
Souvent manipulés !
Le problème de salaires insuffisants est à l’origine de différents autres problèmes auxquels font face les journalistes burundais. Certains s’absentent au travail ou travaillent peu parce que moins motivés. Incapables de subvenir à leurs besoins de base, ils sont obligés de faire d’autres prestations en parallèle ou courir vers d’autres opportunités. C’est dans cette logique qu’ils sont souvent manipulés ou tentés par des reportages parfois lucratifs ou insensés.
Alfred* [journaliste] ne cache pas sa situation. « Quand on m’invite à une conférence ou à un séminaire et que l’on me promet un perdiem, je suis obligé d’aller couvrir l’événement même s’il serait sans importance. L’important, c’est ce que je mets dans ma poche. Quelquefois, on nous donne 10.000 Fbu, 15000 Fbu, voire 20.000 Fbu. Comment pourrais-je fermer mes yeux devant une telle offre alors que mon salaire ne me permet pas de boucler mes mois ? », révèle-t-il. Et d’ajouter : « Les conditions de vie des journalistes ne sont pas du tout bonnes, pourtant souvent considérés comme défenseurs des droits des autres !».
Sans surprise, certains leaders des partis politiques, certains responsables d’entreprises et d’organisations semblent avoir découvert cette faiblesse. Quand ils n’ont pas de matière intéressante à médiatiser, ils promettent aux reporters ce qu’ils qualifient comme « frais de déplacement » ou « frais de communication ». Mais en réalité, il pourrait s’agir d’une stratégie trouvée pour les attirer vers la couverture. « Dites-leur qu’on a prévu une petite somme pour eux. Je suis sûr qu’ils vont venir. Personne ne recule devant l’argent !», a dit, un jour, un responsable d’une organisation.
Problèmes de gouvernance interne
La gouvernance dans certains médias est mise en cause. La gestion y est moins transparente. Elle est lacunaire. Des journalistes contactés dénoncent, dans leurs structures, différents comportements liés au favoritisme, au népotisme, aux malversations, à l’injustice, …adoptés par les responsables…
André [pseudo] en a déjà été victime. « Certains journalistes, venus plus d’une année après moi et que j’ai formés, sont mieux payés que moi. Je n’y comprends plus rien ! Au travail, je suis meilleur qu’eux ! Comment une structure puisse-t-elle commettre ce qu’elle est censée combattre ? Ce qu’elle reproche au gouvernement ? », s’interroge-t-il. « La plupart des gens favorisés sont soit des proches de nos responsables soit leurs concubines, … Comprenez aussi que dans nos structures il existe des problèmes de harcèlement sexuel !», s’étonne-t-il. Et de renchérir : « Si un employé ose dénoncer toutes ces magouilles publiquement, il est renvoyé ! ».
Il faut rappeler que le code du travail ne permet pas aux employeurs de traiter de façon différentes leurs employés surtout quand ceux-ci ont été engagés dans des conditions semblables. On peut le lire à l’article 73 : « A conditions égales de travail, de qualification professionnelle et de rendement, le salaire est égal pour tous les travailleurs, quels que soient leur origine, leur sexe, leur âge ».
Pour résumer, c’est inquiétant que les journalistes soient sous-payés, précarisés, malgré leur rôle combien important, celui d’informer le public, d’être les porte-paroles des sans voix … Si la situation continue sur le même rythme, le journalisme qui déjà, au pays des tambours, était presque inexistant [quasi-absence d’enquête, de recherche systématique d’informations, de recoupement des sources de renseignement, défaut de dossiers, de statistiques, …] risque de disparaitre pour toujours.