L’accès aux soins médicaux, l’achat du sel de cuisine, de l’huile, de pagne, de l’engrais, … c’est entre autres besoins auxquels la femme rurale burundaise ne subvient pas facilement car ils exigent de moyens supérieurs à ses recettes. Nous y revenons. Nous analysons également comment elle s’approvisionne.
Le reporter d’IVOMO s’est entretenu avec plusieurs femmes – des veuves – qui habitent dans la région de Kirimiro et les montagnes surplombant la capitale économique, Bujumbura.

Il a focalisé ses questions sur les problèmes auxquels elles sont quotidiennement confrontées.
Isabelle
Agée de 53 ans et mère de six enfants. Elle habite la colline de Kirombwe, zone de Muyira, commune de Kanyosha, province de Bujumbura. Veuve depuis 12 ans, elle relate comment elle est parvenue, seule, à faire vivre sa famille.
La priorité était de faire arme de tout pour assurer l’éducation des enfants, leur garantir de la nourriture, des habits, etc. Au début, rien n’était facile. Chaque fois que j’avais besoin d’argent, je me confiais à mes beaux-frères. Mais, ceux-ci ne se souciaient jamais de moi ni de mes enfants. Parfois, ils me traitaient de paresseuse ! De pute ! Bref, un quotidien ponctué de brimades et d’humiliations.
A un moment donné, j’en ai eu ras le bol. Un jour, je décide de prendre notre avenir en main. Je me lance dans le commerce et l’agriculture. Car je veux, coûte que coûte, faire de l’argent. Plus question de dormir longtemps. Je me lève 5 heures du matin et me rends dans les champs. Je travaille jusqu’à 13 heures, puis retourne à la maison pour nourrir les enfants qui rentrent de l’école. A 15 heures, je descends dans la capitale économique, panier de fruits sur la tête. Le soir, je rentre avec de Ndagala et farine pour la pâte. C’est comme ça que j’ai pu les élever.
Bien que fatiguant, le petit commerce nous permet de tenir bon en attendant la maturité des champs. Pendant la récolte, c’est la joie. Si j’ai besoin de quoi que ce soit, je vends la banane, les patates douces, etc. et, bien sûr, tout en réservant une partie pour l’avenir.
Depuis 2018, notre situation s’est améliorée. J’ai adhéré au système de microfinancement appelé « Ikirimba », tenu par des femmes. Chacune verse à la caisse, chaque moi, 20 mille Fbu. Puis, le montant total est donné à l’une de nous pour qu’elle réalise un projet de son choix. Et, nous procédons à tour de rôle. Ce système a été d’une grande utilité pour moi et les miens. En deux ans, j’ai pu acheter dix chèvres. Elles nous procurent du fumier.
Resi
A midi, notre reporter arrive chez-elle, à Mukoni, colline de Rutoki, zone de Mungwa, province de Gitega. On est à 10 km, au sud de la capitale politique. Des enfants sont en train de jouer. « Bonjour les enfants. Où sont les parents ? ». Et eux de répondre : « Grand-mère se trouve là dans les champs. Attends d’ici, on va l’appeler. Ce n’est pas loin. »
Mais le reporter préfère l’y rejoindre. « Salut grand-mère ! ». La vieille : « Bienvenu mon enfant bien que je n’aie rien à vous offrir ! ». Ainsi commence la discussion. En fait, Resi est âgée de 70 ans. Également veuve. Son mari est décédé dans la crise de 1993. Mère de trois enfants, elle raconte le type de vie qu’elle mène.
Après la mort de mon mari, la vie est devenue compliquée. Moi et mes enfants vivions de l’air du temps ! Les gens me méprisaient, se moquaient de moi. Mais moi aussi, il m’arrivait de questionner mes capacités. Je me demandais comment j’allais réussir toutes les tâches jadis accomplies par lui : mettre la toiture, acheter les habits pour les enfants, …
Parfois, je sillonnais les champs, cherchant quoi mettre sur l’âtre, en vain. Désespérée, je pouvais du coup me rappeler d’une banane oubliée dans un des champs, loin de la maison. Ouf ! Je m’y rendais en courant et l’apportait vite ! Comme ça, la question était réglée pour au moins une journée. En cas de manque total, les voisins nous volaient au secours. Quelquefois, mes enfants, en provenance de l’école, ne trouvaient que deux ou trois patates douces dans la marmite. Je leur servais tout. Y compris ma part.
Aujourd’hui, je suis seule à la maison. Tous les enfants sont mariés. Ils vivent dans des provinces lointaines. Si je tombe malade, je me confie aux voisins ou contracte un crédit que je rembourse plus tard.
En fait, la vie d’agricultrice n’est pas facile ici à Kirimiro car les terres sont infertiles. Il faut des fertilisants. Or l’engrais chimique exige de l’argent. Souvent, je vends de la banane pour m’en procurer. Cette année, la somme n’a pas suffi. J’ai dû emprunter auprès d’une coopérative.
Bélyse
30 ans, elle habite la sous-colline de Mpama, colline de Rutoki. Contrairement à ses voisines, elle n’a pas de propriété bien qu’elle ait 4 enfants à charge. C’est pour cette raison qu’il est rare de la trouver à la maison. Elle cultive pour les autres en échange d’argent. Témoignage.
Je me suis mariée à l’âge de 18 ans, mais de façon pas ordinaire. Un homme m’a prise de force. Après que l’on ait eu deux enfants, il m’a renvoyée. Je me suis remariée à un autre. Un malheur ne vient jamais seul. Celui-ci est mort quelques années plus tard, me laissant encore deux enfants. J’ai dû me couper en quatre pour leur éducation. Comme les enfants du premier mari était maltraités par leur marâtre, j’ai dû aller les récupérer.
Bien que sans propriété, j’ai usé de mon intelligence pour les élever. Comment ? Je me confie souvent aux voisins qui ont de grandes propriétés foncières. Ils m’en prêtent une partie en usufruit. Cette année, un d’eux m’a prêté un marais. J’y ai cultivé la patate douce. Un autre m’en a donnée sur une montagne, j’y ai un champ de haricot. J’ai aussi deux petits champs de manioc. C’est comme ça que je trouve de quoi nous nourrir.
Quand la récolte est bonne je vends une partie pour avoir des frais nous permettant de pourvoir aux besoins financiers de la famille. Souvent, j’éprouve de grandes difficultés quand arrive la période d’achat d’engrais et de matériel scolaire. Ça me coûte au moins un mois durant lequel je travaille pour les autres, en échange d’une rémunération.
Monique et Souavis
Après avoir remarqué que sa propriété foncière ne suffit pas du tout pour nourrir sa famille, Monique a pris une décision de consacrer deux jours, par semaine, au petit commerce. Elle vend des avocats et la banane dans la capitale politique. Les soirs, elle rentre avec d’autres articles ou denrées comme le Ndagala à vendre au village.
Souavis, elle, se consacre au commerce à partir de 18 heures, de retour dans les champs. Elle grille du maïs sur un ligala.
« J’ai mis au monde étant encore sous le toit de mes parents. Je suis orpheline de mère. Je suis avec mes enfants à la maison. Je n’ai aucune envie de plaisanter alors que mes enfants n’ont pas à manger. Je suis prête à faire toute activité qui nous procure de l’argent à côté de l’agriculture. »
Conclusion
Au Burundi, la femme rurale joue un rôle majeur dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Elle est partenaire indispensable dans le développement du pays. Selon une enquête effectuée par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), elle apparait dans le secteur agricole [qui vient en tête de l’économie burundaise] à plus de 97 %. Si on veut vraiment stimuler l’agriculture et l’économie, poursuit FAO, il est indispensable de soutenir la femme rurale.
Dans cette optique, le gouvernement devrait mettre en place une politique agricole qui tient compte de ses besoins. Des équipements modernes, les fertilisants, etc. Plusieurs séances de formations en sa faveur sont aussi nécessaires. En outre, le système d’octroi de crédits aux agriculteurs devrait être révisé. Les conditions devraient être simplifiées. Ça augmenterait les rendements.
Enfin, le Burundi dispose déjà de la Banque Nationale pour le Développement Economique (BNDE) qui opère dans le secteur. Les décideurs devraient fortement l’appuyer pour qu’elle puisse bien accompagner la femme rurale. Et comme le dit la Confédération des associations des producteurs agricoles pour le développement (CAPAD), « Autonomiser la Femme rurale, c’est Développer tout un Monde. »