La crise politico-sécuritaire que traverse le Burundi depuis 2015 a fortement affecté la vie des populations sous différents aspects. Mais certains restent ignorés. Des rapports souvent publiés se focalisent surtout sur : les morts, les disparus, les torturés, les réfugiés ou le climat « malsain » qui règne entre les protagonistes. Pourtant, il y a d’autres dimensions, plus privées, plus quotidiennes, jamais évoquées. Par exemple, des Burundais dont les rêves ont été étouffés dans l’œuf. Ainsi ces amoureux qui ont été contraints de rompre leurs relations. Ivomo a recueilli quelques témoignages.
Cet article concerne deux catégories de Burundais : ceux qui sont en exil et ceux qui sont restés au pays. Les premiers ont été contraints d’abandonner la plupart de leurs projets initiaux. Les seconds en sont – pour la plupart – victimes.
Notre reporter relate d’abord une situation vécue par un couple qui, au moment de l’éclatement de la crise, était sur le point de fonder une famille : Rosine*, 29 ans, fiancée à Eddy*, 38 ans. Nous sommes en novembre 2014. Ils projettent leur mariage en 2015. Malheureusement, leur rêve de vivre ensemble pour toujours ne deviendra jamais une réalité.
Le 26 avril 2015, les manifestations contre la troisième candidature du président Pierre Nkurunziza éclatent. Eddy*, un habitant de l’un des quartiers réputés « hostiles » à cette candidature, se sent menacé. En décembre, il abandonne son travail et fuit le pays, y laissant sa fiancée. C’est le début du calvaire pour les deux amoureux. Rosine*, toujours au Burundi, se rappelle de ce qu’elle a enduré : « La relation à distance a été le pire cauchemar de ma vie. Je ne dormais plus », témoigne-t-elle. « On communiquait via WhatsApp seulement ». Jusque-là, la jeune fille espérait toujours que son fiancé ne tarderait pas à revenir. Pourtant, la désillusion totale n’était pas loin.
Six mois plus tard. Le jeune homme a perdu tout espoir de renter dans un avenir proche. Il décide d’abandonner leur projet de mariage. Il joint Rosine* par téléphone et lui annonce la mauvaise nouvelle : « Je suis obligé de t’avouer que notre avenir ensemble comme amoureux est incertain. Je ne sais vraiment pas quand je pourrais retourner au pays pour réaliser notre projet ». Et d’autoriser : « tu as droit d’aimer un autre garçon. Je suis désolé ». Coup de massue pour la jeune fille ! Elle n’y comprend plus rien. Selon elle, il y a malgré tout une possibilité pour s’en sortir : rejoindre son fiancé en exil. Proposition directement balayée par Eddy*, qui lui dit vivre dans des conditions difficiles, car abrité et nourri par un ami. L’avenir de Rosine* s’écroule.
Quand la crise gâche « nos » rêves de bonheur
La situation d’Eddy* et Rosine* n’est pas un cas isolé. Actuellement au Burundi, on assiste souvent à des cérémonies de mariage organisées de façon inhabituelle, comparativement à ce qui se faisait avant 2015. Un certain samedi, le reporter d’Ivomo participe à une fête de dot à Bujumbura. C’est Éric* qui va doter Aline*. Il faut savoir que « payer la dot » au Burundi est une coutume d’une très grande valeur culturelle.
Il est 18 heures. La famille de la fille est en train d’accueillir celle du garçon suivant la tradition. Mais curieusement, Éric* n’est pas là, il ne figure pas parmi les membres de la famille accueillie. Sa place est occupée par une jeune fille : sa sœur Claudine*. La situation soulève des questions parmi les invités qui n’y comprennent rien. « Bizarre ! », s’exclament certains. Normalement, selon la tradition burundaise, le garçon doit être présent à la cérémonie depuis le début. Par contre, la dotée n’y apparait que plus tard, après un long échange entre les deux familles. Paradoxe : celle-ci finira néanmoins par venir alors que son prétendu n’est toujours pas là. Claudine* va tout faire à la place de celui-ci. Par exemple, c’est de cette future belle-sœur qu’Aline* recevra la bague de fiançailles. A cause de cela, la situation va devenir de plus en plus confuse, les invités davantage inquiets : « C’est dingue ce à quoi nous assistons. Que se passe-t-il ? Où est Éric* ? », murmurent-ils, certains n’hésitant même pas à parler à haute voix.
Et notre reporter a la même perplexité. D’ailleurs après la cérémonie et pour en avoir le cœur net, il va vite parler à Aline*. Celle-ci lui racontera toute l’histoire. Finalement, presque semblable à celle d’Eddy* et Rosine : « Éric n’est pas au pays depuis mars 2017. Il a appris que le Service de renseignement était à sa recherche et a dû fuir. Maintenant il fait sa vie ailleurs ». Et la jeune fille de préciser : « Nous avons dû organiser cette cérémonie au Burundi car la plupart de nos proches n’avaient pas de moyens pour se rendre à l’étranger. Mais, le mariage se déroulera en dehors du pays, en l’absence de toute cette foule ». Aline* déteste les conditions dans lesquelles la fête s’est déroulée : « Je ne m’étais jamais imaginée que je serais dotée en l’absence de mon mari. C’est vraiment triste. C’était la journée de mon rêve. Depuis mon adolescence, je rêvais de voir mon fiancé mettre la bague de fiançailles sur mon doigt, devant nos parents et les invités. Mais voilà que tout est gâché ».
« Je n’ai pas pu faire les derniers adieux à ma femme »
A part ceux séparés mais qui – quand même – ont encore l’espoir de se revoir un jour, il y en a d’autres qui ne se reverront plus jamais. Par exemple Pascal* et sa femme. Ils s’étaient mariés depuis 11 ans. Que leur est-il arrivé ? En mai 2015, juste après le coup d’État manqué, Pascal* fuit le pays. Mais, sa femme et ses 3 enfants dont l’ainé a 9 ans, restent au pays. Deux ans plus tard, elle tombe malade, puis elle meurt. Recherché par la justice burundaise, Pascal* ne pourra pas venir aux funérailles de celle qu’il aime. « Je n’ai pas pu faire les adieux à ma femme. Elle est morte il y a environ deux ans. Et mon cœur ne l’a pas encore accepté. Ma conscience m’accuse toujours de n’avoir pas été là pour elle », regrette-t-il.
C’est presque le même cas pour Salvator*, célibataire et ainé de famille. Exilé, il apprend en 2018 la mort de sa mère. Menacé au Burundi, il ne pourra assister à l’enterrement. Les photos des funérailles ne lui parviendront que via WhatsApp. Ce qui l’a fortement choqué : « Ma mère, doit avoir eu une grande douleur de disparaitre sans son fils ainé à ses côtés. Quand j’y pense, ça me fait plus mal ». Ivomo a pu recenser beaucoup d’autres cas pareils dans différentes localités du pays.
Bien qu’on n’en parle pas, ces problèmes sont lourds de conséquences dans la société burundaise. Certains parents – des femmes pour la plupart – ou des enfants développent déjà des signes de « traumatisme ». Il n’y a pas de statistiques globales des victimes. Mais, avec l’appui d’un expert, on a pu confirmer plusieurs cas à Musaga, Ngagara et Cibitoke. Et regrettablement, il n’y a jamais eu d’intervention en leur faveur. Que ce soit de la part du gouvernement ou des partenaires. En tout cas, le sujet devrait aussi être mis au centre des débats sur le Burundi.
*les noms ont été modifiés