Alors que les Burundais éliront, le 20 mai, leur prochain chef d’Etat, leurs futurs députés et conseillers communaux, l’Institut d’études de sécurité (ISS) estime que le pays pourrait plonger dans une nouvelle crise s’il arrivait que le principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL) remporte les élections et que sa victoire est « confisquée ».
Cette possibilité est évoquée dans une analyse intitulée « Burundi : vers une alternance dans la continuité ? », publiée par l’ISS, le 16 avril 2020. Ce document de 20 pages s’appesantit sur différents aspects liés à la situation politico-sécuritaire au Burundi. Par exemple, l’ISS essaie de comprendre pourquoi l’actuel président, Pierre Nkurunziza, a, de façon brusque, dû changer sa direction en renonçant à sa propre succession. Il examine également les enjeux et risques des prochaines élections, etc.
Lien : https://issafrica.org/fr/recherches/rapport-sur-lafrique-centrale/burundi-vers-une-alternance-dans-la-continuite
Elections crédibles, « improbables »
L’institut d’études de sécurité revient sur des raisons qui, durant cette période électorale, pourraient déclencher une autre crise, alors que même celle ouverte en 2015, n’est toujours pas résolue. Exemple, « la tentative du régime de neutraliser les opposants ».
En 2015, la décision du président sortant, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat controversé, avait forcé l’implosion de son propre parti (le CNDD-FDD), créé une fronde, et poussé des centaines de milliers de Burundais à l’exil. Selon la Cour pénale internationale, plus de 1000 personnes auraient été tuées. En réaction au refus du régime de dialoguer avec son opposition, les bailleurs lui ont suspendu l’aide directe. Et, à cause de cela, la pauvreté s’est intensifiée. D’où le mécontentement croissant de la population.
Ainsi, selon l’ISS, le régime burundais est conscient de tout cela. Il sait surtout que cette population le tient pour responsable de la situation. Cela dit, des élections transparentes ne lui seraient, peut-être, pas favorables.
« Il est fort improbable que le régime favorise un environnement propice à des élections crédibles, le scénario le plus plausible étant d’en dicter l’issue dans un climat d’intimidation et de répression à l’endroit de son principal concurrent le CNL ».
- lit-on dans l’analyse.
Il faut préciser que le chef et candidat du CNL, Agathon Rwasa, est considéré comme le principal rival du général Evariste Ndayishimiye, candidat du parti hégémonique. Certains discours de ces deux politiques portent à croire que l’issue des élections n’augure rien de bon. Verbi gratia, le général Ndayishimiye, a déclaré, il y a quelques jours, via une plateforme proche du pouvoir, que ceux qui cherchent la défaite de son parti se trompaient énormément : « Ce serait synonyme de repartir à zéro. Donc, on ne peut pas accepter de remettre le compteur à zero ». Agathon Rwasa a, lui aussi, déclaré, à maintes reprises, que le CNL « n’est pas prêt à accepter des élections non crédibles ».
Crise inévitable ?
Les partis CNDD-FDD et CNL rivalisent en termes de fidèles. De ce fait, l’Institut d’études de sécurité trouve qu’il est difficile d’envisager une victoire écrasante pour l’un ou l’autre des deux : « Les résultats des différentes élections devraient être serrées ». Or, précise l’institut, « sauf énorme surprise, la CENI devrait proclamer la victoire du candidat du CNDD-FDD à la présidentielle et des scores élevés pour la même formation politique à même de lui assurer une majorité confortable au Parlement ». Et l’ISS de constater : « le pouvoir semble exclure toute défaite ».
Ce point de vue parait être corroboré par l’attitude de certains agents de sécurité. Depuis le lancement de la campagne, plusieurs photos sur lesquelles on voit des policiers en tenues du CNDD-FDD circulent. Sur l’une on voit par exemple l’ancien Commandant de la Brigade Anti Emeutes (BAE), Désiré Uwamahoro, en compagnie d’un autre homme. A part les insignes du parti dominant, leurs t-shirts comportent aussi des écrits : Général Major Evariste Ndayishimiye. Uwamahoro est considéré comme un des piliers de la répression qui s’est abattue sur le Burundi en 2015. « Le voir en uniforme d’un parti politique, durant la campagne électorale surtout, montre qu’il y a un agenda caché », soupçonnent des opposants contactés. En plus, la loi burundaise ne permet nullement aux agents de sécurité d’appartenir à aucun parti politique. Selon l’Institut d’études de sécurité, « une crise électorale pourrait éclater si des éléments probants plaident en la faveur d’une victoire confisquée du CNL ».
L’ISS recommande au régime burundais de s’épargner une nouvelle crise et d’entourer le processus électoral en cours d’un habillage légal. Ce qui, précise-t-il, permettrait de légitimer les institutions qui en résulteront. Pour que le Burundi soit préservé d’une crise, poursuit l’institut, ça pourrait aussi dépendre de l’attitude du CNL :
« S’il est battu régulièrement ou si, en cas de défaite contestable, il réalise que le rapport de forces lui est défavorable et subit d’importantes pressions pour se contenter des résultats qui lui auront été accordés. L’un comme l’autre des scénarios pourrait être envisagé d’autant qu’il est peu plausible que Rwasa fasse du jusqu’au-boutisme ».
Dans le cas contraire enfin, l’ISS trouve que seule une réponse forte, concertée et coordonnée de la communauté internationale pourrait favoriser une solution négociée.