Vous imaginez-vous des Batwa fabriquer des cadenas, des marteaux, des clés pour véhicules, des égraineuses, etc. ? Voilà la spécialité de KEREBUKA, une de leurs associations, basée à Kayogoro, au sud-est du Burundi. Ses fondateurs souhaitent rompre avec le traditionnel ou le schéma classique, celui de l’artisanat basé sur le travail de l’argile pour lequel les Batwa sont connus depuis la nuit des temps.
Il est 8 heures. Ciel un peu nuageux, notre reporter arrive au chef-lieu de la commune de Kayogoro. Dix-huit kilomètres à l’est du centre administratif de la province de Makamba. À l’entrée de cette agglomération, il y voit un monument sur lequel on peut lire la devise : Imana, Umwami, Uburundi [Dieu, Roi, Burundi]. L’édifice est érigé dans un carrefour.
Nouveau dans la région, le reporter se perd. Il est obligé de s’informer auprès des passants. Il veut tout simplement savoir quelle direction prendre afin d’arriver à l’atelier des forgerons Batwa. Ce qui ne sera pas difficile. Ceux-ci sont connus de tous dans la localité. « Tu vas tout droit. Quand tu vois un grand arbre, tourne à droite. Ce n’est pas loin », lui indique un promeneur.
Le reporter se met en route. Quelques minutes plus tard, il ne voit toujours pas l’atelier. Or il y est presque. Sans le savoir. Alors qu’il tourne en rond, monologue incessamment, une des élèves se rendant à l’école le rassure : « Tu es déjà arrivé. C’est juste là ».
« Comme je suis dingue ! », s’exclame-t-il. Il suit la consigne de l’élève. Sans tarder, il commence à entendre des bruits de marteaux. A force d’approcher, ça frappe très fort. « Il doit s’agir des forgerons qui cognent le fer », se dira-t-il. Et voilà. Il y débarque.
L’atelier
C’est une petite forge, en arbres, vieilles tôles, etc. Tout près, une maisonnette servant de stock. Également en arbres. Une dizaine de maisons, des champs, des arbres, … c’est ce que l’on peut observer tout autour. Et en même temps que souffle un vent léger, des oiseaux chantent au rythme des coups de marteaux.
C’est d’ici que les Batwa, membres de KEREBUKA, exercent leur métier. Ils sont capables de fabriquer de l’outillage à l’aide des objets métalliques hors d’usage. Quand le reporter arrive, un d’eux est en train de manipuler un soufflet à pédale pour allumer le feu. Ils l’ont fait eux-mêmes. Derrière, un autre soude des pièces cassées d’une moto. Un peu à l’écart, leur collègue égraine du maïs, à l’aide d’une égraineuse mécanique. « Nous avons fabriqué la machine nous-mêmes. Nous la vendons à 30.000 Fbu », se félicite-t-il.
Depuis tôt le matin, l’équipe a déjà produit des béquilles de vélos et des charnières pour portes seulement. La liste s’allonge en fonction des commandes. « Nous façonnons des haches, des marteaux, des couteaux, des louches, des imbabura, etc. », précise Abel Katariho, représentant de l’association. Et d’insister : « Nous fabriquons des clés pour voitures ou lames des ressorts utilisés pour l’amortissement des chocs de celles-ci ».
Quelque chose est impressionnante : les membres de KEREBUKA ont tout appris d’eux-mêmes. C’est-à-dire, par leur virtuosité, ils font des recherches et se partagent des connaissances.
Leur clientèle est sous-divisée en deux parties. L’une est composée de Burundais, l’autre d’étrangers. Il faut comprendre que Kayogoro est limitrophe de la Tanzanie voisine. « Des ressortissants tanzaniens passent souvent des commandes. Bien qu’ils ne soient pas très nombreux, on s’en réjouit », déclare Katariho.
Des difficultés aux soutiens
L’idée de créer l’association est née il y a environ 4 ans. Katariho et ses collègues avaient un objectif principal : combattre l’ignorance des Batwa et se développer eux-mêmes en cassant les préjugés et le traditionnel. Pour lors, ils s’entendent sur l’appellation « KEREBUKA » qui, en français, signifie : « sois valeureux !».
Depuis les temps reculés, les Batwa, troisième ethnie du Burundi et estimés à 1 %, sont marginalisés par leurs compatriotes hutus et tutsis, deux principales ethnies. Même si aujourd’hui les choses vont s’améliorant, certains continuent d’humilier cette minorité. Ils la considèrent comme pygmée. D’où sa misère. En outre, ses membres restent timides même face à d’importantes opportunités sociales.
Ainsi, KEREBUKA est née dans la logique de contourner cet état de fait. Les initiateurs sont résolus à conscientiser leur communauté. Quant à eux, il n’est plus question qu’elle reste en situation défavorisée. Ils veulent contribuer à son retrait progressif du dessous des moyennes nationales.
Néanmoins, les premiers moments n’ont pas du tout été faciles. « Pas mal de gens nous disaient que nous n’arriverions nulle part », révèle Abel Katariho avant de clarifier : « Il y a même qui s’étaient convenus de ne jamais acheter nos produits. D’autres nous imposaient des prix bas. Malgré cela, nous n’avons pas abandonné ».
L’action réconfortante de PROVAPA
Le projet KEREBUKA est en train de fleurir. Ce, grâce à l’intervention de PROVAPA, programme lancé dans le but de promouvoir l’artisanat et les produits agricoles au Burundi. Intéressés par le courage de l’équipe, les responsables du programme ont décidé de l’accompagner. Tout, en deux phases. La première a consisté à lui donner un appui financier, la seconde, à lui construire un atelier doté d’une salle d’exposition-vente. L’équipe a l’intention d’emménager bientôt.
Pour savoir davantage à quoi s’en tenir, notre reporter s’est entretenu avec le directeur du programme, Dr. Léonidas Mbanzamihigo : « Nous les avons choisis pour deux raisons : 1) ils sont engagés dans la fabrication de matériel agricole. 2) Ils font partie des groupes défavorisés. Tous ces deux points cadrent avec les missions de PROVAPA ».
A titre de rappel, le gouvernement burundais a lancé, en 2018, le Plan National de Développement (PND). La création de l’emploi pour la jeunesse et le soutien à ses initiatives figure parmi plusieurs objectifs du document. C’est dans le contexte où au moins 300.000 jeunes diplômés burundais sont confrontés au manque d’emploi.
L’intervention de PROVAPA s’inscrit, avec toute évidence, dans la droite ligne de cette politique. Les membres de KEREBUKA s’en estiment heureux. « Le programme nous a considérablement ouvert les yeux. Notre business commence à fleurir. Nous avons même un compte à la Coopec. Nous y déposons de l’argent régulièrement. Dorénavant, nos enfants sont tous scolarisés. Ce que nous faisons est un véritable gagne-pain », déclare un d’eux.
Cependant, l’équipe ne s’en est pas encore tirée définitivement. Elle fait face à un problème d’analphabétisme. « A part notre chef Katariho, nous n’avons pas fréquenté l’école. Et nous en avons déjà subi des conséquences. Ne sachant ni lire ni écrire, quand nous sommes en face d’une affaire qui exige une convention écrite, et que Abel n’est pas là, nous nous trouvons dans l’incapacité de savoir si ce que l’autre partie a écrit correspond exactement à nos idées », regrette un autre membre.
Katariho est conscient du problème. Il cherche déjà un remède. Il envisage, dans l’avenir, une série de formations. « Je sais que je ne serai pas toujours là. Nous devons penser à une solution durable ».
Un travail salué par des voisins
Des habitants proches de l’atelier n’ont plus besoin de voyager loin à la recherche d’outils nécessaires dans les ménages. Il en est de même pour des conducteurs de motos ou bicyclettes en besoin du service de réparation. Il y est. Sylvère Niragira habite la colline de Kibizi. On l’a rencontré sur les lieux : « Je suis venu récupérer mes objets. J’avais passé la commande il y a quelques jours. Maintenant, tout est presque prêt. Je suis fier du dynamisme de cette équipe. Elle est vraiment géniale ».
Satisfaction également pour Jeanine Kabura, mère de 4 enfants : « Si j’ai besoin de l’un ou autre produit et que je n’ai pas d’argent immédiatement, ils m’en donnent à crédit. Je rembourse dès que possible. Personne ne me bouscule. Vous comprenez que cet atelier est d’intérêt capital pour les habitants à proximité. Les maux auxquels on reproche souvent les Batwa ne sont pas du tout fondés. Ils sont vraiment sociables et agréables ».
Certains y viennent fréquemment pour assister. Par exemple, Nestor Niyonzima. Conscient de l’importance de la profession, il souhaite que les fondateurs de KEREBUKA puissent ouvrir un centre de formation : « Ce serait important car d’autres habitants de Kayogoro ont besoin de cette expérience. Ça permettrait de créer de l’emploi pour des jeunes ».
Face aux produits importés
De façon globale, les Batwa du Burundi vivent de l’artisanat basé sur le travail de l’argile. On l’a déjà dit. Ils en constituent des pots et d’autres objets d’art qu’ils mettent sur le marché pour gagner la vie, car, en fait, ils n’ont pas de terre à cultiver comme les Hutus et Tutsis.
Toutefois, leurs œuvres se heurtent aux produits de même type, plus perfectionnés, importés de l’étranger, qui attirent beaucoup de Burundais. « Je ne peux plus acheter des objets moins solides, dépourvus d’esthétique alors que je peux facilement trouver ceux développés à bas prix », réagit Jean, habitant la commune de Makamba.
Il y a des années, la plupart de Burundais préparait la nourriture dans des marmites de terre. Ils s’en servaient aussi pour puiser ou transporter de la bière locale [impeke ou isongo]. Bien que fortement culturelle, cette pratique est en train de disparaitre petit à petit. Pour certains, ces récipients sont fragiles. « Ils se cassent très facilement. Si je tombais alors que je transportais de la bière, vous comprenez que je perdrais tout. Pourquoi prendrais-je ce risque ? », s’interroge un habitant de Makamba. « Le monde a évolué. Nous avons sur nos marchés des récipients sophistiqués ».
C’est le problème auquel sont confrontés les produits de KEREBUKA. Dans différents marchés à Kayogoro, on y trouve de beaux couteaux importés (de la chine, du monde arabe, de l’Afrique, …), moins chers. Il y a aussi des houes et machettes mêmement importées, pour ne citer que ces exemples. Cette situation limite les capacités de vente de l’association. En dépit de ces embûches, ses membres ne lâchent rien. Ils sont conscients que le combat n’est pas simple. Ils veulent une victoire méritée.
C’est comme ça que l’administration communale a été séduite. Elle a ensuite pris certaines mesures pour les propulser. Une d’elles, ils sont exonérés d’impôts et taxes. D’après nos sources, l’autorité communale à l’intention d’éveiller la conscience des Batwa d’autres collines. Elle souhaite qu’ils s’activent aussi.
Conclusion : Les membres de KEREBUKA souhaitent aller plus loin. Ils examinent déjà la possibilité d’étendre leurs actions dans d’autres communes de Makamba. Leur philosophie est d’inculquer à la jeunesse la pratique de l’artisanat, un des moyens de s’auto-développer et booster l’économie.
Généralisée, l’initiative permettrait au Burundi de réduire sa dépendance en importations, du moins, pour certains produits. Mais bien évidemment, la tâche n’est pas facile. L’intervention du gouvernement est nécessaire. La piste ? Il concentrerait les efforts sur le développement des œuvres d’arts, des articles d’artisanat ou de la mode.
Le plus important pour les Barundi est d’être informés de comment orienter leur savoir-faire traditionnel et lui donner une valeur monétaire. Et cela, suivant l’évolution du monde moderne.
Oui, bien organisées, les activités d’artisanat sont juteuses. L’expérience d’ailleurs l’a déjà démontré. En France par exemple, 30 % des exportateurs sont des entreprises artisanales. Le Burundi devrait donc apprendre des pays comme elle. S’il appuyait suffisamment le secteur, ça lui permettrait d’en exporter les produits et s’approvisionner en devises.