Moins de 100, c’est l’effectif d’étudiants actuellement nourris dans les homes de Mutanga et Kiriri. Il y a 5 ans, celui-ci était de près de cinq mille ! Que s’est-il passé ? Claude Nishimwe, reporter d’IVOMO, s’est intéressé au problème. Il témoigne.
Il est 11 heures 11. Sous un soleil flamboyant, j’arrive à l’entrée du campus Kiriri. C’est sur les montagnes surplombant la capitale économique. Je suis vite ébranlé. L’ambiance, dans cet endroit que je fréquentais beaucoup dans le passé, a disparu ! J’y vois très peu de gens. Et ceux-ci ne sont même pas des étudiants. Ce sont ceux venus faire du sport.
Je pénètre dans l’enceinte. Une femme me stoppe. « Tu dois d’abord payer 300 FBu pour avoir le droit d’entrée », me dit-elle. Voyant que je n’y comprends rien, elle m’explique : « C’est une nouvelle règle. Elle concerne toute personne étrangère au campus. Ce vaste ensemble de bâtiments est actuellement considéré comme touristique ».
Je règle, puis je continue. Je croise deux hommes. L’un travaille au restaurant universitaire comme cuisinier. L’autre, à la cantine. Après s’être salués, nous nous mettons à échanger. Blagues. Rires. Au fil du temps, d’autres rejoignent le groupe. Suivra ensuite une brève présentation. Après, un d’eux, Gahungu [pseudo], m’apprend une réalité :
« Si tu nous vois déambuler, ce n’est pas parce que nous avons séché le travail. Il n’y a plus beaucoup à faire au campus Kiriri. La plus grande partie d’étudiants ne mange plus ici. Il y a quelques années, on nourrissait plus de 1000. Aujourd’hui, il n’en reste que 43 ! Tu te rends compte ? Je ne comprends plus rien ! ».
Gahungu
Mathias [pseudo] ajoute :
« Si je me rappelle bien, le phénomène commence il y a 3 ans. Les étudiants internes déploraient des mauvaises conditions de vie dans les résidences. En plus, ils se lamentaient qu’on leur donnait une quantité insuffisante de nourriture mais que le gouvernement prélevait de leur prêt-bourse une grosse somme d’argent. Ils ont commencé à quitter le campus les uns à la suite des autres. Ils se rendaient aux quartiers. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés sans boulot. C’est ainsi qu’on a redéployé certains de nous. Moi par exemple, je suis devenu planton à une structure publique à Mutanga. »
Quelles quantités alimentaires pour les 43 ?
Selon Gilbert [pseudo], cuisinier, elles sont insignifiantes.
« On leur prépare 3,5 kilos de riz, 5,5 de haricot et, très rarement, 21 de pommes de terre. C’est-à-dire, 1 kilo de riz pour 12 étudiants, 1 de haricot pour 8, 1 de pommes de terre pour 2. Tu comprends pourquoi notre équipe a été réduite. C’est devenu comme dans un simple ménage. Auparavant, nous mangions sur la nourriture des étudiants. Elle était abondante. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Pour avoir à manger, nous, cuisiniers, sommes obligés de cotiser. »
Il est midi, l’heure de manger
Je vois deux groupes d’étudiants sortir de leurs chambres. Le premier est composé de deux filles et cinq garçons. Avocats dans les mains, ils se dirigent vers la sortie principale du campus. De manière rapide, je déduis qu’ils mangent à l’extérieur. Le second, six jeunes hommes, va au restaurant universitaire. Je le suis. J’entre avec lui. J’y trouve 43 assiettes alignées, contenant du riz seulement. Me voyant stupéfié, un des travailleurs murmure dans mes oreilles :
« Il s’agit d’une stratégie pour éviter des tricheries. Les assiettes sont bien comptées. Chaque étudiant récupère la sienne puis, on lui ajoute du haricot. Tout est contrôlé. Personne ne peut manger s’il/elle n’est pas du nombre. »
Deux étudiants se partagent une table. Avant, c’était au moins dix. Comment les choses sont-elles arrivées là ?
Ils relatent
Tout commence en mars 2018. Le gouvernement adopte une loi réformant la gestion de bourses d’études et stages. Elle marque l’entrée en vigueur d’un nouveau système universitaire, celui de prêt-bourse. Depuis, des étudiants ayant réussi l’Examen d’Etat, et régulièrement inscrits aux universités, perdent l’avantage d’une bourse gratuite de 30.000 FBu, soit 15 dollars, par moi.
Ceux de l’Université du Burundi [UB], la seule et principale institution publique qui accueille un grand nombre d’enfants issus des familles pauvres, ne vont pas facilement digérer cette politique. Ils la contestent. Mais, ne parviennent pas à faire reculer le gouvernement. Hélas, ils sont divisés, puis contraints à se soumettre.
Les nouvelles conditions ? Les étudiants des premier, deuxième et troisième cycles doivent désormais percevoir, respectivement, des prêts mensuels de 60.000 FBu [30 dollars], 100.000 FBu [51 dollars] et 150.000 FBu [76 dollars].
Mésententes, départs, …
Les autorités universitaires vont se retrouver avec deux catégories d’étudiants dans les campus : ceux de l’ancien système et ceux du nouveau. Les premiers resteront avec le privilège de percevoir leur bourse gratuite de 30.000 FBu jusqu’à la fin de leurs études. Les seconds, le prêt-bourse.
Dans ces conditions, elles sont obligées de les traiter différemment. Par exemple, pour qu’un étudiant du nouveau système ait droit à manger au restaurant universitaire, elles lui prélèvent à la source 50.000 FBu ! A celui de l’ancien, elles ne retiennent que 21.000 FBu !
Un désaccord éclate ! « Injustice ! », déplorent les nouveaux étudiants. Pour eux, le montant qu’on leur retire est disproportionné. Ils entament des réclamations, sans parvenir au résultat qu’ils souhaitent. Ainsi, se sentant abandonnés, ils commencent à s’en aller des homes un à un. Silencieusement. Ils préfèrent une vie de locataire. A mesure que le temps passe, une grande partie des logis universitaire va se retrouver vide.
Même situation au campus Mutanga
Le lendemain, je m’y rends. A 11 heures 50, j’arrive au restaurant. J’y vois deux étudiants. Jean, Institut supérieur de commerce [ISCO], Constantin, Faculté des sciences de l’ingénieur [FSI]. C’est l’heure d’aller à table. Mais ces derniers ne sont plus du nombre. Jean m’explique :
« Actuellement, c’est très peu d’étudiants qui se nourrissent au restaurant universitaire. Nous de l’ISCO, venons de terminer nos études. Nous devons partir. Il reste ceux de la faculté de médecine : 42 seulement. D’après mes informations, ils seront transférés au campus Kamenge. »
Il y a quatre ans, cet établissement accueillait autour de 3500 étudiants !
Où vivent ceux qui sont partis ?
Après Mutanga, je me dirige vers Mugoboka. C’est un quartier populaire situé en contrebas des montagnes surplombant Bujumbura. En cours de chemin, je rejoins un jeune homme. Il marche bible à la main. Il rentre d’une prière. Nous avançons ensemble, échangeons, blaguons, rigolons, … Nous devenons comme des amis alors que nous ne nous connaissons pas !
Il me demande mon nom. Je lui dis. Je lui demande le sien. « Emmanuel », me répond-il. Et d’ajouter : « J’étudie à l’Université du Burundi, campus Mutanga, mais j’habite Mugoboka ». Je comprends vite que je viens d’avoir ce que je cherchais. Je lui exprime mon souhait de voir sa demeure. Il est d’accord. Ainsi, nous accélérons. Nous nous faufilons entre de petites maisons. Et voilà, nous y arrivons. Une pièce de 4 mètres sur 3. Au salon, plusieurs sachets contenant des habits et syllabus sont accrochés au mur.

Les colocataires d’Emmanuel ont déjà mangé. Ils lui ont laissé de la pâte de manioc et un peu de haricot. Vite fait, il se sert puis, mange. En même temps, il me raconte de leur vie.
« Pour avoir l’argent à utiliser chaque mois, nous cotisons. Nous faisons une réunion pour voir ensemble quelle somme chacun doit contribuer. Puis, nous constituons un petit stock. La farine de manioc ou de maïs, de haricot, etc. Nous ne mangeons pas de riz. Il est pour les riches. Nous n’avons même pas de domestique. Nous ne sommes pas capables de le payer. Nous préparons le repas nous-mêmes. Nous le faisons à tour de rôle. »
Mugoboka, comme Kanyare [nord-est de la commune de Mukaza], est donc un quartier où vivent beaucoup d’étudiants. La vie y est moins chère. Les années passées, on y trouvait des étudiants en attente d’aller vivre dans les homes universitaires.

Désillusion !
En s’éloignant des homes, ils pensaient pouvoir réussir leur vie en gérant les 60.000 FBu qu’ils étaient censés recevoir mensuellement. Surprise, la somme ne sera jamais régulière ! Eloi* étudie en master.
« Selon les contrats, tout étudiant allait bénéficier d’un prêt de 12 mois, chaque année. On allait lui donner cet argent en tranches de 3 mois. Cela ne s’est jamais concrétisé ! Ça crée de la peine. C’est dommage. Tenez, nous avons commencé notre master en octobre 2019. Nous pensions que nous allions au moins avoir la première tranche en janvier ou février 2020. Nous avons attendu en vain. Ce n’est sept mois plus tard qu’elle a été débloquée ! Six étudiants avaient déjà déserté ! Ils étaient dans l’incapacité de payer le loyer. »
Le problème a déjà dressé des étudiants contre leurs parents. Eloge* étudie à l’Institut pédagogique appliqué [IPA].
« Nous sommes obligés d’aller toujours chercher la nourriture chez nos parents. Or ils savent que nous sommes bénéficiaires du prêt-bourse. Un jour, les miens m’ont traité d’escroc. Il m’a fallu beaucoup de temps pour leur expliquer le calvaire que nous vivons à Bujumbura ».
Eloge* affirme que les étudiants n’ont pas le droit de revendiquer. « Un prêt ne se réclame pas ! On vous l’accorde si c’est possible et quand on veut ! » Ce serait la réponse que donnent souvent certaines autorités.
Qui sauvera les étudiants ?